A l’ère de la révolution numérique, Michael Porter a effectué un aggiornamento important des concepts qui l’ont rendu incontournable, il y a plus de 35 chandelles dans l’analyse des stratégies concurrentielles. Cette véritable mise à jour de la pensée « Porterienne » a été publiée initialement dans la Harvard Business Review de Novembre 2014.
Selon le professeur très réputé de Harvard, l’Internet des objets transmute en profondeur le paysage concurrentiel. En effet, se scléroser à affronter la concurrence par la production d’objets physiques ou en mettant en œuvre des technologies pour automatiser la chaîne de valeur ne serait plus une approche pertinente. Selon Michael Porter, dans tous les secteurs, les entreprises vont devoir se concurrencer en offrant des objets connectés à des plateformes digitales et reliées au réseau internet.
De ce fait et au regard de cette nouvelle donne économique et technologique, les firmes sont astreintes à reconsidérer totalement leur approche et leur stratégie. Cela transforme profondément :
• L’ordonnancement des compétences et des savoir-faire,
• La perception par les consommateurs des usages et des fonctionnalités essentielles,
• Les stratégies de différenciation,
• Le choix des business models,
• La définition même du secteur d’activité de l’entreprise.
L’auteur de l’avantage concurrentiel des nations, conceptualise ainsi la révolution des objets connectés comme la troisième grande vague de transfiguration de la stratégie et de la concurrence introduite par les technologies de l’information.

Faut-il rappeler que rétrospectivement et historiquement:
• La première vague, celle des années 60 et 70, consistait à informatiser des éléments de la chaîne de valeur, comme la gestion des commandes, la conception des produits ou la facturation,
• La seconde marée, celles des années 80 et 90, fut celle de la coordination et de l’intégration des différents éléments de la chaîne de valeur, dans et hors de l’entreprise. C’est celle qui a permis la désintégration et la globalisation des chaînes de valeur,
• La troisième, celle qui assoit l’information au cœur du produit même : Elle transformera non seulement le produit, mais aussi la chaîne de valeur, les modalités de la concurrence et la structure des marchés.
Michael Porter décline ainsi l’incidence prévisible d’un monde d’objets connectés sur son modèle des cinq forces concurrentielles, quitte parfois à risquer d’en faire fulminer le cadre conceptuel. Le professeur de Harvard concède notamment que la définition du champ concurrentiel doit être mise à jour. Une telle mise à jour prophétise trois tendances majeures introduites par l’avènement des objets connectés :
• Primo, une phase de raffermissement et de consolidation au niveau des marchés : la hausse de la barrière à l’entrée exigée par la complexité des produits et l’avantage conséquent du premier entrant en matière de données excluront de nombreux opérateurs, et dresseront de puissantes barrières à l’entrée.
• Secundo, une phase de consolidation entre des marchés jadis distincts, mais désormais fédérés autour d’un système de produits ou d’un système de systèmes.
• Tertio, l’arrivée de nouveaux entrants, notamment issus du logiciel ou du conseil. Ces derniers ne seront pas confrontés au dilemme de l’innovateur et ne seront pas encombrés d’actifs, de process ou d’organisation héritées du modèle antérieur.

Sur le fond, il ne s’agit que d’une mise à jour des concepts de Michael Porter. Pour autant, en voulant intégrer les stratégies de l’ère numérique dans sa conception de la concurrence développée depuis les années 80, Michael Porter bifurque d’une vision souvent défensive de la concurrence où les entreprises cherchent à améliorer leur rentabilité en se protégeant de la pression des rapports de forces concurrentielles, à une approche beaucoup plus offensive en insistant sur la nécessité pour nombre d’entreprises d’une remise en cause radicale de leur stratégie.
In fine, la question qui nous apostrophe, c’est de savoir dans quelle mesure les firmes en place peuvent remettre en cause aussi profondément leurs compétences-clés, leur chaîne de valeur, leur culture d’entreprise mais aussi leur business model ? Cela remet de facto, en guise de conclusion, la question des barrières à la mobilité.