L’argent ne dort jamais, le titre semble riper l’imaginaire des passionnés du cinéma vers le film culte « Wall Street: Money Never Sleeps » d’Oliver Stone incarné magistralement par le trio Michael Douglas, Shia LaBeouf et Josh Brolin. Il n’en est rien, il s’agit de la grande opération jamais réalisée en bourse aux USA par les gourous de la finance. En effet, au moment où le monde disserte de l’anémie de la croissance économique et de l’entretoise de la globalisation économique, les dynamiques de fusions acquisitions Internationales ne cessent de foisonner et les concentrations économiques n’ont jamais été aussi importantes. Pièce à conviction en est, le 22 octobre 2016, les deux grands géants AT&T et le groupe de médias Time Warner annoncèrent leur fusion cyclopéenne, soit la plus grosse alliance que le monde des affaires économiques internationales ait connu cette année écoulée, tous secteurs confondus avec la somme de 85,4 milliards de dollars
Au niveau mondial et en vertu du dernier rapport de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement CNUCED, les fusions-acquisitions internationales ont connu une hausse importante et se sont chiffrées à 721 milliards de dollars, contre 432 milliards de dollars en 2014. Ce montant record est derrière les flux mondiaux d’investissement étranger direct (IED) qui ont bondi de 38 % pour atteindre 1 760 milliards de dollars, leur plus haut niveau depuis la crise économique et financière mondiale de 2008-2009.

A titre illustratif, le grand opérateur des télécoms a pris le contrôle, entre autres, des chaînes de télé HBO, CNN et des studios de cinéma Warner Bros à qui on doit un grand nombre de célébrité planétaires dont Harry Potter, Spotlight ou les Affranchis.
Cette fusion trouve sa justification dans la volonté stratégique des grands opérateurs télécoms de s’allier avec des créateurs de contenu pour alimenter leurs réseaux.
Faut-il signaler que cette tendance ne se cantonne pas au seul créneau de de la communication et des médias: On la retrouve dans d’autres niches économiques dont l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique, ou l’industrie agroalimentaire. Cette dynamique nourrit une course au gigantisme et à l’acromégalie en dépit d’un climat tumultueux de la croissance économique.
Plusieurs mobiles expliquent ce mouvement de fusion & acquisition au sein de l’économie globale :
-Le premier est d’ordre économique et constitue une rétorsion rationnelle des grands groupes économiques et financiers à la faible croissance via un accroissement de leurs parts de m

arché,
-Le second est d’ordre technologique et explique également ces rapprochements avec de grands groupes traditionnels qui prennent le contrôle des start-up dans les nouvelles technologies,
-Le troisième est d’ordre politique derrière cette course aux fusions de la part des géants mondiaux qui s’inquiètent de l’insatiabilité des mastodontes financiers chinois qui arrivent sur les grands marchés avec une force de frappe financière sans égal et parviennent à prendre le contrôle de quelques fleurons de l’industrie européenne ou américaine,
-Le quatrième est d’ordre fiscal : Les fusions-acquisitions internationales enregistrées, en 2015 sont imputables à des reconfigurations d’entreprises, notamment à des transferts de domiciliation fiscale. Ce phénomène a été singulièrement manifeste aux États-Unis et en Europe, où plusieurs entreprises multinationales ont conclu des mégatransactions pour transférer leur domicile fiscal dans des pays où l’impôt sur les sociétés est plus faible et où les bénéfices mondiaux ne sont pas imposés.
Cette omnium au gigantisme distille et secrète une véritable rivalité sur un marché relativement limité provoquant une surenchère sans précédent sur les débouchés économiques et financiers. Ainsi, les sommes déboursées par les grands groupes sont estimées entre 20 et 40% supérieures à la valorisation des entreprises achetées.
En sus, dans moult cas, les fondamentaux ne sont guère respectés et les retours sur investissements restent visiblement en deça des moyennes exigées pour ce type d’investissement.il s’agit tout compte fait d’une concentration économique de nature particulière qui s’inscrit dans une stratégie défensive dont le dessein est de faire face à une croissance des débouchés et ce à travers une augmentation des parts des marchés.
Faut-il souligner que le souci financier est loin d’être la première préoccupation dans cette course au gigantisme mais il s’agit plutôt de cimenter et resserrer les positions et les parts de marché des grands groupes traditionnels, particulièrement dans un contexte jalonné par l’appétit des groupes asiatiques et surtout chinois.

Cette stratégie de fusions & acquisition est d’autant plus fluidifiée et lubrifiée par des mécanismes et des des conditions de financement laxistes. En effet, le rush d’acquisition des années 2000 a été financée par les fonds de private equipty et les LBO qui répondent bien à un modèle de financement très particulier où l’exigence d’un très bon retour sur investissement est essentielle. Or, cette nouvelle vague bénéficie des politiques monétaires expansionnistes et des taux d’intérêt bas qui prévalaient dans la plupart des pays développés permettant par là aux grands groupes de franchir le rubicon et d’opérer leurs investissements en escomptant que l’effet taille contribue à l’amélioration de la rentabilité de ces investissements.
Tout compte fait, en dépit d’un contexte économique fébrile et d’une croissance atone, les grands groupes continuent à foisonner et font de la course au gigantisme le moyen de renflouer leur rentabilité et de préserver leurs parts de marché. Toutefois, cette effervescence et cette forte concentration du pouvoir économique motionne au plus haut point les responsables politiques. Les dirigeants Américains n’ont-ils pas appelé les régulateurs à observer attentivement ces évolutions et à mettre les réglementations nécessaires à même d’éviter la formation de monopoles qui seront à l’origine de dysfonctionnements de marché qui peuvent avoir des effets pervers sur les consommateurs ?

Ainsi, au moment où la croissance est morose, les inégalités à leur apogée suscitant lassitude et désespoir, les malabars économiques et financiers continuent leur quête d’expansion. De telles attitudes n’appellent-ils pas les pouvoirs démocratiques à une plus grande vigilance afin que la liberté économique ne détruise pas les deux autres piliers des sociétés démocratiques : la justice et l’équité ?