Dans les librairies, servies en livres, les ouvrages aux titres incantatoires s’éclipsent des rayons : La liste de mes envies de Grégoire Delacourt, une autre idée du bonheur de Marc Levy, Manifeste pour le bonheur de Stefano Bartolini, Plaidoyer pour le bonheur de Matthieu Ricard font partie de ces best-sellers. En films, à la recherche du Bonheur de Gabriele Muccinoles, le Bonheur des autres de Jean-Philippe Pearson, les recettes du Bonheur de Lasse Hallström, les Intouchables, ou le documentaire la thérapie du bonheur de Sabine Gisiger, enseigné en cours particuliers, séminaires ou des coachs aidant des candidats à retrouver la joie de vivre. Il est le Graal irrévocable et définitif de l’humanité depuis deux mille ans: diversiforme, hétéromorphe, c’est le bonheur qu’Aristote identifie comme le Souverain Bien et but ultime de l’existence. Les chercheurs rappellent que le bonheur est si essentiel à l’existence humaine que l’Organisation Mondiale de la Santé le hisse de plus en plus comme un composant à part entière de l’état de santé. La thématique est indémodable et le desiderata du bonheur a rarement autant concentré les énergies. Il est catapulté sur le devant de la scène par des scientifiques qui en scrutent l’ADN, étudiant la chimie de nos cerveaux à la recherche de la molécule du bonheur. D’autres estiment qu’on peut même le mesurer et le calibrer.
Et précisément, la sustainable development solutions network publie chaque 20 Mars, à New York, le rapport sur le Bonheur dans le Monde le World happiness report, qui coïncide avec la Journée Internationale du Bonheur de l’ONU, en se basant sur plusieurs batteries d’indicateurs tel que le PIB par habitant, l’entraide sociale, l’espérance de vie, la liberté, la générosité, la perception de la corruption.
Faut-il rappeler que le 20 Mars a été proclamé Journée mondiale du bonheur et du bien-être par l’Assemblée générale des Nations unies du 12 juillet 2012. Et la recherche du bonheur est un objectif humain fondamental. L’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît cet objectif et appelle à « une approche plus inclusive, équitable et équilibrée de la croissance économique qui favorise le bonheur et le bien-être de tous les peuples. ». Ainsi l’Organisation des Nations unies reconnaît le bonheur et le bien-être comme une aspiration universelle et pense que le bonheur devrait être pris en compte comme un objectif politique. La Journée internationale du bonheur vise à faire prendre conscience aux gens du monde entier de l’importance du bonheur dans leur vie. Le 20 mars a été proclamé Journée mondiale du bonheur et du bien-être par l’Assemblée générale des Nations unies du 12 juillet 2012
Sur le panel des pays sondés et sans surprise, la Finlande se classe en tête de l’euphorie pour la 7éme fois consécutive, suivie du Danemark, de la Suisse, l’Islande, la Norvège et des Pays Bas.
A notre sens, la méthode, voire le principe même de calibrer le bonheur, reste très discutable et même réfutable : On pense qu’il convient de séparer de manière tranchée et nette, d’une part la mesure objective du développement, du bien être et du bonheur collectifs et, d’autre part, la mesure subjective du bonheur individuel. Dans notre esprit, le bonheur collectif constitue un ensemble de conditions qui rendent plus facile l’accession au bonheur individuel.
Aussi et surtout, nous soutenons l’idée que ce n’est pas parce que la Finlande est en tête du classement que tous les Finlandais sont heureux, ni même qu’ils sont forcément plus heureux que les Marocains.
A l’appui de notre allégation, le classement de la Finlande au peloton des pays de la délectation et du Bonheur est subjectif en s’étayant sur les chiffres alarmants de l’Institut Statistique Européen Eurostat qui dénombre plus de 13 suicides pour 100.000 habitants, soit un taux supérieur à la moyenne européenne. Difficile avec un tel ratio de suicide et d’autodestruction prétendre à la sérotonine et au bonheur : Le suicide n’ jamais fait bon ménage avec le bonheur, l’annihilation n’a jamais fait bon flirt avec l’ascèse, le suicidaire n’a jamais fait bonne cavalière avec l’allégresse.
En sus, le rapport sur le bonheur, depuis sa première apparition, ne cesse de mettre en piédestal les pays scandinaves comme les nations qui savourent la Dolce Vita et les auteurs qui dissertent sur le bonheur, brandissent en permanence le package bonheur des vikings : équité sociale, politique familiale paritaire, économie florissante et on les décrit comme des lieux de plénitude et on en occulte presque qu’ils ont des taux de suicide parmi les plus élevés du Monde avec respectivement 28,9% en Finlande et 16% au Danemark.
Le Happiness Research Institute qui siège à Copenhague au Danemark pointe un taux de divorce et un taux de suicide tous deux assez importants, à même d’entacher la réputation du paradis du bonheur, de l’aubaine et de l’enchantement en Finlande ce qui met de manière tangible l’absence de corrélation entre développement économique et sentiment de bien-être connu communément sous l’appellation du paradoxe d’Easterlin.
L’édition de cette année du rapport sur le bonheur mondial révèle une chute de sept places pour le Maroc. Le Royaume, qui se positionnait à la 100 éme place en 2023 avec un indice de bonheur de 5.060, a glissé au 107 éme rang sur 143 pays avec un score de 4.795. Cependant et rigueur scientifique nous l’oblige, nous pouvons être d’accord sur des facteurs qui rendent les Marocains moins heureux ou plus rigoureusement des soucis qui préoccupent les Marocains. A cet égard, l’étude menée par le département de Lahlimi, le Haut commissariat au Plan en l’occurrence, nous illumine et nous renseigne sur les différentes inquiétudes dont se soucient les Marocains qui sont :
Primo, le logement vient en tête, avec 60% des réponses des 3.200 personnes sondées avec une note obtenue sur le plan national de 4,7/10, autant dire que les Marocains, à 64%, ressentent plutôt mal leurs conditions de logements, tant au niveau de l’espace dans lequel ils vivent que des conditions qui sont les leurs dans les logements,
Secundo, les Marocains restent soucieux également pour les questions de santé, et surtout au niveau de l’accessibilité et de la qualité des soins qui leur sont prodigués. Ils attribuent la mauvaise note de 3,4/10 à la question de la santé, sans différence singulière entre milieux urbain et rural. Récemment, une feuille de route sanitaire a été élaborée, suivant en cela les recommandations du Conseil économique, social et environnemental, pour une meilleure répartition de l’offre de soins à travers tout le Maroc,
Tertio, l’éducation est une source de chagrin et de préoccupation à son tour : Elle représente 33% de sentiments négatifs des Marocains, 15,3% de ces sentiments pour la qualité des infrastructures et 11,8% pour la compétence des enseignants,
Quarto, les conditions de travail sont notées, elles, à 4,7/10, les Marocains interrogées dénonçant essentiellement le niveau de salaire et celui du système de retraite qui inquiète de plus en plus les Marocains, avec 63% des sentiments négatifs impactant le bien-être de l’homme Marocain. Soulignons que cette investigation avait été menée, bien avant les remous actuels sur la réforme de la retraite,
Quanto, l’environnement constitue à son tour une source de tribulation, les Marocains n’ayant pas un grand crédit dans leurs institutions et principalement sur le plan politique : Les partis, les communes, les organismes parlementaires n’inspirent pas une grande confiance aux sondés, qui leur attribuent le score de 4,5/10,
Sexto, la culture, et bien entendu les loisirs, ne rendent pas les Marocains particulièrement heureux. Les infrastructures dédiées sont en nombre insuffisant et de qualité douteuse, et les sondés attribuent une note moyenne globale de 3,8/10.
A notre sens, d’autres facteurs s’ajoutant à ceux évoqués ci-haut par le HCP, nous paraissent importants, qui mettent de l’endorphine dans le quotidien des Marocains. En effet, l’enquête menée récemment par la Compagnie d’Assurance Atlanta, en faisant appel à l’expertise du cabinet Institut International de Sondages Ipsos , met en exergue des facteurs qui secrètent de la dopamine et distillent du sel dans la vie des Marocains, Il en est ainsi de :
– La religion qui apparaît comme créatrice de béatitude en apportant sérénité, réconfort et confiance aux Marocains. L’étude a démontré que 80% des Marocains estiment que la pratique du culte procure du bonheur. Ce pourcentage traduit la profondeur spirituelle de la personnalité marocaine qui, en dépit de la modernisation de sa société, reste une personnalité attelée à l’histoire avec toute sa connotation religieuse.
Cette adoration spirituelle du Marocain représente sous un angle d’analyse religieuse la nature de la personnalité de l’Homme Marocain qui, à travers la pratique religieuse, tente de se réconcilier avec soi.
DIEU n’a-t-il pas dit dans Sourate AR-RA’D (LE TONNERRE) (Verset 28), Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux “Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à l’évocation d’Allah”. N’est-ce point par l’évocation d’Allah que se tranquillisent les cœurs? “. A défaut, Dieu n’a-t-il pas dit dans Sourate TAHA (Verset 124), Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux “Et quiconque se détourne de Mon Rappel, mènera certes, une vie pleine de gêne”.
– La stabilité : A priori, beaucoup auraient pu penser que, selon la perception des Marocains, l’argent est le secret du bonheur : Il n’en est rien, pour le Marocain et comme dit le dicton ancestral français “L’argent ne fait pas le bonheur » puisque l’enquête, auprès d’un échantillon de 2.100 personnes révèle que le bonheur des Marocains réside dans leur tranquillité d’esprit. Ainsi, 36% des personnes interrogées y consentent une importance capitale. Effectivement, la paix intérieure (stabilité) nous permet de ressentir un état de tiédeur intrinsèque indispensable à la perception extérieure de la joie de vivre.
– La Famille : Cette étude nationale sur le bonheur d’Atlanta Assurances nous a permis de naviguer dans l’océan qui fait le Bonheur des Marocains, à savoir les relations familiales sociales solides dont jouit le tissu familial Marocain qui sont des conditions importantes du bien-être psychologique où 70% des Marocains le citent comme source de bonheur.
Il nous semble que les résultats de cette étude sont un véritable document de référence sur les projections des Marocains pour le bonheur. Ce qui peut aider les acteurs politiques et économiques dans la planification et la construction des éléments de bonheur pour le Marocain : L’étude du HCP le confirme, il faut travailler dans l’ordre du logement, en trouvant une solution à cette offre de plus en plus problématique des « champions » de la promotion immobilière qui se trouvent être aujourd’hui, presque tous, dans l’œil du cyclone. Puis il y a la santé, comme cela a également été confirmé par l’enquête récemment menée par Atlanta. Ce n’est pas à elle seule l’argent qui fait le bonheur.
Bonheur et bien-être devraient donc être érigés en tant qu’objectifs de politique publique, non seulement pour leur finalité en tant que tels mais aussi pour leurs nombreux effets secondaires et leurs externalités positives car le bonheur des uns fait le bonheur des autres ; Le bonheur des gens dépendrait du bonheur de ceux qui les entourent : c’est une des conclusions des recherches menées pendant plus de 20 ans par deux scientifiques américains, dont l’étude est publiée, en décembre de cette année 2015, par le British Medical Journal (BJM).
Ce serait pourtant dans l’intérêt de tout le Maroc, car, à notre sens, plus un Marocain est heureux, plus il est productif, gagne davantage et se comporte plus civilement en société : On n’est plus, in fine, dans le Produit National Brut (PNB) ; l’économie n’a pas à elle seule la clé du Bonheur, mais bel et bien dans le Bonheur National Brut (BNB) du Maroc.