C’est parti, hier le 30 Mai 2019, l’Afrique avait rendez-vous avec l’histoire du siècle à travers l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange la plus large du monde depuis la création de l’OMC en 1995 , en l’occurrence la zone de libre-échange continentale africaine, connue sous l’acronyme ZLECA, qui augure et ambitionne que 90 % des échanges de biens seront dégrevés des droits de douane, et abolit de facto les 84 000 kilomètres de frontières qui existent actuellement en Afrique.
Il faut dire que le milieu des affaires du continent noir escompte beaucoup de ce débouché commun de biens et services qui fusionnera plus de 1,2 milliard de consommateurs et devrait secréter une valeur ajoutée économique de plus de 2500 milliards de dollars. Impulser une nouvelle instigation à l’Afrique, accolée à moults challenges économiques et sociaux, et surtout démographiques, où la population de l’Afrique atteindra 2,5 milliards en 2050, et représentera 26 % de la population mondiale active, passera inéluctablement par l’aboutissement de la zone de libre-échange continentale africaine.
Sur l’arène économique mondiale et paradoxalement à la mondialisation qui ne cesse de promettre monts et merveilles des vertus de la libéralisation du commerce international, et au regard de la formation de blocs commerciaux en Amérique latine, en Europe, en Asie, ce n’est plus un choix pour les pays africains, mais un must et une contrainte de constituer un tout régional corsé, dense et intégré à même de se dépenser dans le macrocosme multivarié de la globalisation.

Le souverain marocain n’a-t-il pas allégué, dans une parénèse adressée au sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernements de l’UA que la création de la zone de libre-échange, la plus large au monde, avec la population du monde, représente un acte majeur de notre volonté commune de construire l’Afrique de demain ? À notre sens, ce contrat mondial du siècle qui est entrée en vigueur, hier Mercredi 30 Mai 2019 ne pourra prétendre à la réussite sans les préalables suivants :
– Primo, une plus grande insertion de l’économie africaine dans la trajectoire de l’économie internationale : l’Afrique reste la zone la moins intégrée au monde. Sa part dans le commerce mondial demeure infime puisqu’elle ne représente qu’environ 2 %. Difficile avec un tel ratio de percer les marchés mondiaux en pleine compétition et de négocier en force les accords internationaux.
– Secundo, le déploiement d’un grand effort d’intégration et de synergie du commerce intra-régional : au vu des chiffres timides du Commerce international entre les pays africains livrés par l’OMC et la CNUCED, il est urgent de remédier à la faible connectivité entre les différentes économies du continent. Faut-il illustrer la timide jonction entre les pays africains : le commerce intra-africain ne dépasse guère 18 %, comparativement à l’Asie (ASEAN) où il s’élève à plus de 51 %, ou en Amérique du Nord (ALENA) où il frôle 54 % et en Europe (AELE) où il s’élève à 70 %. De telles statistiques montrent, de par leur éloquence, l’effort que doivent déployer les pays africains dans le cadre de la ZLECA pour augmenter le commerce intra-africain à plus de 35 milliards de dollars par an pour gravir les 52 % en 10 ans.
– Tertio, l’alliance et la forte connivence du secteur privé : la réussite de la ZLECA reste fortement tributaire de sa capacité à riposter aux besoins de l’entreprise. À cet égard, il est capital que le secteur privé fournisse des mécanismes de consolidation des chaînes de valeurs existantes par la promotion de l’investissement industriel et le transfert du savoir-faire. Sous cet angle, les PME, qui constituent 80 % des entreprises africaines, seront encouragées par la ZLECA, où elles pourraient fournir des inputs pour les grandes entreprises industrielles.

– Quarto, le raffermissement des structures productives à travers la promotion de l’industrialisation de l’Afrique. Le but escompté est d’amenuiser la place des matières premières qui se taillent la part du lion dans les exportations africaines. Faut-il souligner, à ce titre, que plus de 76 % des exportations africaines émanent des ressources extractives, ce qui n’est pas sans risque sur la volatilité des prix des matières premières et de facto, sur les budgets des pays africains ?
Contrairement aux matières premières et aux secteurs miniers, la promotion de l’industrialisation de l’Afrique permettra de faire progresser la chaîne des valeurs industrielles à travers la création de plus de valeurs ajoutées, la création de l’emploi, le renforcement de la croissance et la productivité à même de favoriser une plus grande participation de la région africaine dans les chaînes de valeur mondiales, de gagner en efficience en renforçant la capacité attractive de l’Afrique. Aussi, la promotion de la politique industrielle de l’Afrique permettra d’asseoir une chaîne de valeur diversifiée et plus compétitive en se positionnant sur les activités à plus haute valeur ajoutée des chaînes de valeur mondiales.
– Quinto, l’investissement dans le capital humain : l’analphabétisme et la carence en formation demeurent les grandes tares de l’Afrique. Les problèmes qui restreignent les capacités des entreprises africaines sont notamment l’insuffisance des compétences entrepreneuriales et des compétences de gestion, le manque de personnel qualifié, ainsi que les obstacles en matière de recherche et développement. Georges Jacques Danton n’a-t-il pas argumenté qu’après le pain, l’éducation n’est-elle pas le premier besoin d’un peuple ?
Avec une telle carence, la qualité des institutions et des administrations peut peser lourd dans la décision d’une entreprise d’investir et d’implanter ses activités économiques dans un
pays africain donné. Faute d’investissements suffisants dans les compétences, le progrès technologique et l’investissement ne s’accompagnent d’aucun gain de productivité.
– Sexto, les gouvernements africains devront placer la bonne gouvernance au cœur de leurs programmes en vue de la transformation structurelle effective des économies africaines. C’est une condition sine qua non pour nourrir le développement économique, libérer le plein potentiel de l’Afrique et la conduire sur la voie de la prospérité.
Les pays africains ont besoin d’un cadre de gouvernance plus propice pour être en mesure de conduire de meilleures politiques publiques et d’obtenir, à terme, de meilleurs résultats en matière de transformation structurelle et de développement inclusif. Sous cet angle, les gouvernements africains sont invités à apporter des réponses aux pertes économiques dues à l’inefficacité des institutions et à l’incompétence.

Faut-il rappeler que c’est un secret de polichinelle que la corruption met en danger la croissance économique ? C’est un secret de polichinelle que la mauvaise gouvernance et la corruption sont deux fléaux qui nuisent à l’émergence de l’Afrique sur le plan économique, politique et social. In fine, Socrate disait que « Le secret du changement consiste à ne pas concentrer toute son énergie pour lutter contre le passé, mais pour construire le futur ». Il est temps d’ériger le futur économique de l’Afrique en cadenassant les scolioses régionales et en verrouillant les réfractions de la répartition des fruits de la croissance, et ce, en posant, les grands jalons d’une Afrique résolument tournée vers l’émergence économique et hisser la ZELCA au rang de nations industrielles émergentes.