
L’année 2025 scella la commémoration de la 30éme année de la déclaration de Barcelone qui, faut-il rappeler, est une initiative ambitieuse lancée en 1995 (Conférence de Barcelone) qui a jeté les jalons d’un nouveau partenariat régional dans le cadre de la coopération Euro-méditerranéenne où les Ministres des Affaires étrangères de l’UE et de 12 pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont signé un accord pour lancer le partenariat Euro-méditerranéen.
Ce mémento intervient dans un moment de profond bouleversement de la géopolitique mondiale : Le conflit au Moyen-Orient a attesté que la stabilité de la région est inéluctable pour la sécurité mondiale, et toute crise en son sein ou autour d’elle se répercute inévitablement dans le monde entier. Aussi, la région est acculée à des disparités économiques croissantes, à une urgence climatique grandissante, à une fragilité sociale et à la vulnérabilité économique.
Les relations entre les deux rives de la Méditerranée pâtissent d’une indubitable antinomie. D’une part, ces relations sont ancestrales, viscéralement enracinées, avec la stoïque conviction de part et d’autre de leur portée géostratégique. D’autre part et paradoxalement, ces relations n’arrivent pas à outrepasser le rebond qualitatif tant espéré.
Durant des décades, moult conférences, plusieurs sommets, d’accords, soutenus par des centaines de milliards d’Euros en faveur de cette coopération méditerranéenne n’ont toujours pas permis de créer la région de paix et de stabilité escomptée et de niveler l’hiatus de développement entre les deux rives de la Méditerranée, ni encore d’ aboutir à une relation de partenariat win-win, orientée vers l’édification d’un horizon partagé fleuron.
La région Euro-méditerranéenne est confrontée à des défis aussi complexes que multiples, économiques, énergétiques, environnementaux et sécuritaires. Dans un tel contexte, le projet Sud-Méditerranéen s’impose plus que jamais pour les deux rives de la Méditerranée. Reconnaissant-le, en prologue, qu’en dépit des efforts prodigués par la Politique Européenne de Voisinage, l’édifice d’une géographie de stabilité et de prospérité partagées, tant attendu par les deux rives de la Méditerranée, tarde à se cristalliser malgré un poids économique représentant un cinquième du PIB mondial, soit 22.000 Milliards de dollars et des flux commerciaux intra-régionaux de 4.400 milliards de dollars, et ce en raison d’innombrables entorses qui fracturent la région, d’une volonté politique timorée de certains partis eurosceptiques, du manque de confluences entre les États Européens, et de l’inadéquation de certains instruments aux nouvelles contraintes de transitions politiques et économiques survenues en Méditerranée.

Rétrospectivement depuis la chute du mur de Berlin et de l’ancien bloc soviétique, les Européens se sont tournés vers l’Europe centrale et orientale en oubliant leur sud et il revient le mérite à l’ex-président de la République française d’avoir replacé la Méditerranée au centre des géométries politiques en lançant le projet d’une union pour la Méditerranée destinée à remplacer un Processus de Barcelone dyspnéique et peu seyant. L’Europe, en complémentarité avec ses partenaires de la rive Sud, est plus que jamais interpellée à appesantir dans la région Méditerranéenne, notamment à travers l’Union pour la Méditerranée UPM, qui est une organisation intergouvernementale qui regroupe 43 pays sur la base d’une coprésidence paritaire entre les rives sud et nord de la mer Méditerranée. Elle a été fondée le 13 Juillet 2008, lors du Sommet de Paris pour la Méditerranée qui est destinée à renforcer les acquis du Partenariat Euro-méditerranéen mis en place en 1995 sous le nom de Processus de Barcelone.
Après 30 années de la déclaration de Barcelone, nous pensons qu’il est un « Must » de jeter l’ancre sur le Sud Méditerranéen, car la « mare nostrum » recèle d’énormes potentialités économiques, humaines et naturelles, pouvant être une véritable courroie de transmission de croissance et la dynamique économique pour l’Europe. Une telle vertu géostratégique impliquerait, de la part de cette dernière, une coopération plus engagée et plus cimentée, en synergie avec les prévalences de l’agenda des pays du Sud et le durcissement de ses capacités d’action dans cet espace régional, tout en fédérant le rôle de l’Union pour la Méditerranée UPM en tant qu’instrument vital et indéniable dans la future reconfiguration de la Politique européenne de voisinage.
C’est dans esprit que la Commissaire Européenne chargée de la Méditerranée, Dubravka Šuica, l’Union Européenne a confirmé l’adoption, en Novembre 2025, d’un nouveau pacte Euro-Méditerranéen, marquant le 30ème anniversaire de la Déclaration de Barcelone. L’annonce a été confirmée Jeudi 11 Septembre 2025 à Rabat par la Commissaire Européenne chargée de la Méditerranée, en visite officielle au Maroc pour la première fois dans ce cadre qui, a-t-elle confirmé, ne sera pas un simple document de référence, mais un véritable cadre stratégique, conçu comme un partenariat entre égaux contribuant directement à l’enrichissement de ce pacte.
Ce pacte est le résultat d’un processus de consultation approfondi et inclusif auquel ont participé un large éventail de parties prenantes, y compris des partenaires du sud de la Méditerranée, des États membres et des institutions de l’UE, des pays voisins de la région au sens large, ainsi que des représentants de la société civile, du secteur privé, du monde universitaire, des groupes de réflexion et des organisations culturelles et économiques. Il repose sur trois piliers fondamentaux: les citoyens, les économies et la sécurité, incluant les questions de paix et de migration.
– Les citoyens. Il s’agit notamment d’actions consacrées à la jeunesse. Elles sont liées à l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, l’emploi, la mobilité, la culture, le tourisme et le sport. Une université méditerranéenne est un projet phare parmi d’autres.
– Les économies « plus fortes, plus durables et intégrées ». Ce pilier comprend des actions liées à la modernisation des relations commerciales et d’investissement, à la stimulation de l’énergie et des technologies propres, au domaine de l’eau, à l’économie bleue et à l’agriculture, à la connectivité numérique et aux transports. Dans ce contexte, une initiative transméditerranéenne sur les énergies renouvelables et les technologies propres (T-MED) et StartUp4Med sont envisagées.

– La sécurité et la gestion des migrations. Parmi les initiatives prioritaires figureront la préparation aux catastrophes en Méditerranée. S’agissant des migrations, le Pacte prévoit une approche globale et une gestion intégrée des frontières et de la sécurité (intensification des retours volontaires, réadmissions des personnes en séjour irrégulier, coopération pour la prévention des migrations illégales…). Un forum régional sur la paix et la sécurité sera mis en place pour l’UE et les pays du sud de la Méditerranée.
Reconnaissant-le dans cette chronique, l’épée de Damoclès la plus effarante qui pèse sur l’Europe est l’immigration et le terrorisme :
– D’une part, l’immigration, sous toute ses formes, galvanise des rébellions importantes et à la poussée fulgurante des mouvements politiques et sociaux d’extrême droite qui terrifient et terrorisent la cohésion nationale des pays Européens,
– D’autre part, le danger terroriste qui se propulse, l’Afrique en devient un métacentre tangible. De ce fait, l’Europe ne doit pas prendre plaisir d’un voyeurisme aveugle en « déposant son bilan » de ses responsabilités tout en invoquant les pays riverains de la Méditerranée à l’exemple du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie à jouer le rôle de suzerain de l’Europe.
Nous arguons, d’emblée, que cette politique est un fiasco patent et l’histoire politique et économique toute récente le corrobore. Néanmoins, un palliatif existe : il s’agit de la coproduction, du Co-développement étayés sur l’investissement moteur de la croissance, de la production, de l’emploi et en aucun cas sur des rapports mercantiles et paternalistes, privilégiant des aides qui reviennent sous forme de minuscule charité émanant de l’Europe,
Cela nous semble nécessaire pour aplanir les inégalités économiques et sociales, mutiler les tétanies identitaires qui germent au Nord comme au Sud, car nous pensons, en terme dialectique, que la stabilité et la sécurité de l’Europe, de même que son redressement économique et productif, passent assurément par la stabilité et le développement du sud de la Méditerranée.
A cet égard, il est péremptoire de structurer les conditions économiques et sociales à même d’accoucher de nouveaux modèles de dynamique économique, plus endogènes et durables qui seront altruistes et plus fructueux à toute la région. Ceux-ci passent irréversiblement par la valorisation des potentialités de la rive du Sud, et ce en architecturant des investissements productifs porteurs de croissance, de revenus et d’emploi inclusifs à même d’assurer une insertion économique et sociale des jeunes de la ceinture Sud-Méditerranéenne. Aussi, la grande apostrophe de la promotion des valeurs cultuelles pour prémunir les jeunes de toute forme d’outrance et d’extrémisme ne doit-elle pas figurer dans l’agenda du projet Méditerranéen ? Avouons-le, l’UPM l’a éminemment saisie, en se dotant d’une vision agencée sur des orientations visant le raffermissement de la coopération régionale en Méditerranée, étayée sur la création d’opportunités économiques en faveur des jeunes.

Cette orientation ne doit pas nous faire insinuer une vision fataliste et léthargique de la part des pays du Sud; ils doivent réaliser intrinsèquement leur propre » sueur » économique, sociale et politique en termes de réformes économiques, de gouvernance, de démocratie et d’État de droit en interpellant toutes les synergies en faveur de la croissance, l’inclusion et l’équité sociale. La promotion d’une approche régionale pour l’immuabilité de la paix et de la dynamique du développement n’appelle-elle pas à la prise en compte de toutes les dimensions stratégiques? Penser la Méditerranée n’exige-t-il pas de concevoir cet espace non pas comme une région terne, mais comme une interface dynamique capable d’assurer la connexion et la mise en étroite relation des territoires qui l’entourent ?
Dans un contexte régional marqué par des reconfigurations géopolitiques, climatiques et migratoires, le Nouveau Pacte pour la Méditerranée positionne le Maroc comme un acteur central, lui offrant une opportunité stratégique pour accélérer son émergence et ses transitions. Reconnaissant le, le Maroc l’a bien appréhendé en faisant le pari de l’ouverture sur son continent et ce en optimisant sa position géostratégique entre l’Afrique et l’Europe.
En effet, le Souverain Marocain, a eu toujours le souci d’ancrer l’Afrique dans une séquence méritoire porteuse d’espoir, car l’Afrique est le continent de l’avenir, disposant de fortes marges de croissance durable. C’est le continent qui dispose d’une richesse d’atouts multidimensionnels qu’il convient d’exploiter au bénéfice du développement humain durable. C’est tout le sens qui a été donné à la vision Africaine du Royaume voulue par le Souverain Marocain, basée sur l’osmose d’une croissance partagée couplée à la promotion de la paix et de la sécurité porteuses de stabilité pour le continent car , il ne peut y avoir de développement sans sécurité et de paix et, mutuellement, il ne saurait y avoir de sécurité et de paix sans développement. C’est dans ce sens que le Maroc a toujours accompagné les pays d’Afrique dans la consolidation de la paix et de la sécurité régionales.
La pérennité, la sérénité et la placidité de l’Europe, ainsi que sa consolidation économique passe notoirement par la stabilité et le développement du sud de la Méditerranée. L’Afrique du Nord a autant besoin des solidarités de la rive septentrionale que l’Europe intérêt à ne pas s’isoler de son environnement méridionale. Dans une telle dialectique, le projet Méditerranéen s’impose de facto pour les deux rives de la Méditerranée et ce en cristallisant la mission de l’Union pour la Méditerranée UPM en tant que maillon décisif dans la future physionomie de la Politique européenne de voisinage. Gageons de bonnes augures, d’une constellation d’une rive, d’un rêve celui d’une Méditerranée plurielle, généreuse qui ne cessera pas de se raconter d’elle-même pour paraphraser l’éminent historien de la Méditerranée Fernand Braudel « Bataillons-nous pour la pérennité de l’esprit méditerranéen et faire en sorte que la Méditerranée s’assemble plus qu’elle ne dissemble. »

L’histoire récente ne nous apostrophe-elle pas sur le sort commun entre l’Europe et le sud de la Méditerranée ? Ne nous souvient-on pas lors de la pandémie du Covid-19 qui a engendré de grandes interruptions dans les chaînes de valeurs mondiales, et, de facto, n’a-t-elle pas permis aux proximités et aux solidarités régionales de devenir les assises et les ateliers de souveraineté et d’autonomie nouvelle ? Avec la rupture des chaines de valeurs internationales, l’Europe n’a-t-elle pas adhéré à la dynamique de « ré-régionalisation » dans le cadre d’une logique verticale ralliant le Sud de la Méditerranée avec l’Europe pour compatir à l’émergence d’une multipolarité partagée ? La fragilité et la précarité du Covid-19 n’a-t-elle pas révélée que nous Marocains, Maghrébins, Européens et Sud-méditerranéens, nous sommes réunis par le même destin ? L’Union Européenne ne doit-elle pas tirer les enseignements et les leçons de la crise sanitaire, économique et sociale causée par la Covid-19, et ce à travers la réduction de sa dépendance au niveau des chaines de valeur mondiales avec le lointain (la chine, l’Inde……) et créer des interdépendances solides avec sa proximité la ceinture Sud-méditerranéenne ?
Aussi, la géopolitique mondiale actuelle fissurée et fragmentée, ne doit-elle pas nous amener et nous animer à prendre conscience de la valeur inestimable du voisinage comme un bien commun, à ouvrir nos frontières, créer les socles et les piédestaux de réconciliation et de rapprochement, pour boiser et blinder nos positions de négociation dans la gestion de la nouvelle géostratégie ?
L’Union Européenne ne doit-elle promouvoir la relocalisation des activités industrielles pour les incorporer dans un maillage régional du pourtour Sud-méditerranéen permettant, in fine, de redonner à la Méditerranée sa centralité perdue en tant qu’espace géopolitique Européen et Africain pour mieux négocier sa position dans les chaines de valeur mondiales et démontrer sa capacité à maîtriser ses rapports avec toutes les grandes puissances et à bâtir, dans la cadre de la multipolarité future et dans une approche de régionalisation avec l’Europe voisine, une zone de coproduction et une orthogonalité Afrique-Europe avec un nouveau centre de rayonnement : La Méditerranée.

Somme toute et pour reprendre la célèbre allégorie de Feu Hassan II « Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées en Afrique mais qui respire par ses feuilles en Europe« , un Royaume chérifien Alaouite qui appartient à cette périphérie Euro-Méditerranéenne, tirera profit et fruit de ce maillage vertueux porteur d’investissement, de production, de croissance et d’emploi.
Sénèque écrivait : « ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile ». ne faudrait-il pas aujourd’hui oser un agenda pour concrétiser le rêve des deux rives.
