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La revanche des politiques industrielles dans le monde : Les raisons d’une anaphore économique

by Mustapha Maghriti

Le débat relatif aux politiques industrielles a connu ces derniers années des rebondissements majeurs tant au niveau national qu’au niveau international, tant dans le débat économique que dans les politiques économiques publiques. 
Ce débat économique a connu une césure profonde dans les philosophies défendues par les économistes depuis le début des années 80 faisant des politiques industrielles l’anathème d’une branche économique en quête de recognition et de scientificité à la Karl Popper. Ces politiques économiques qui étaient le point de mire des efforts déployés de reconstruction d’après-guerre et postcoloniale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont été réfutées par la contre-révolution d’obédience néolibérale du début des années 80 qui a ratiboisé avec elle toute forme d’interventionnisme étatique. 
Dorénavant, c’est à la libre concurrence et au marché de prendre en charge la réallocation des ressources rares, l’Etat devant se limiter à son rôle régalien et de régulateur de l’activité économique.
La contre-révolution néolibérale a fait tâche d’huile et s’est également attaquée aux politiques commerciales protectionnistes qui se sont développées dans le sillage des politiques industrielles qui seraient, selon les nouveaux prophètes de l’économie libérale, à l’origine du développement de comportements rentiers et d’une grande inefficience dans la redistribution des ressources et des fruits de la croissance. Cette contre-offensive a ouvert la grande porte à la concurrence à l’échelle internationale et à la globalisation « malheureuse » ou « heureuse » qui fera de l’arène économique mondiale un grand marché au profit des grandes Firmes Multinationales FMN. 
Or autant en emporte le vent, ce consensus des économistes périclita rapidement avec les crises en cascade du capitalisme et le reculement du crédit des agents économiques dans la capacité du marché à contrôler l’ordre spontané du marché pour reprendre F.Hayek. 

De ce fait, les débats économiques se sont alors redirigés vers la problématique de la concurrence imparfaite et de l’information opaque qui ont ouvert, à son tour, la voie à une anaphore de l’Etat afin de « contrepeser » les différentes imperfections du marché.
En sus de cet hiatus du consensus chez les économistes, ce débat a été jalonné par une seconde rupture dans les politiques économiques publiques avec la décision des grands pouvoirs économiques à redéfinir le volet industriel et de s’y engager de manière proactive et ce dans le dessein de défendre leurs intérêts dans la quatrième révolution industrielle, ce qui a ouvert la voie à une concurrence effrénée sur les marchés internationaux. 
Pour illustrer notre propos, le 5 février 2019, le Gouvernement Allemand a annoncé le lancement d’une nouvelle politique économique industrielle baptisée « stratégie industrielle nationale 2030 ». Cette annonce constitue une dissonance charnière dans la conduite des politiques économiques, car, faut-il le rappeler, dans L’héritage politique et économique Allemand, l’Etat a toujours gardé son impartialité et sa neutralité au regard de l’économie germanique et plus singulièrement dans son comportement par rapport aux grands groupes industriels. 
Or, cette politique industrielle a montré ses limites aux yeux de l’exécutif Allemand puisque les entreprises Allemandes piétinent sur les marchés internationaux face à la concurrence féroce des entreprises multinationales, en particulier, chinoises. 
A titre illustratif, l’acquisition en décembre 2016 de la totalité du capital de l’entreprise Kuka, réputée dans la fabrication des bras articulés intelligents et considérée comme l’une des championnes de l’industrie 4.0, par le Groupe Chinois Midea, a eu un effet de choc aussi bien auprès du Gouvernement Allemand comme auprès de l’opinion publique pour préparer les esprits à même à reformater la conduite de la politique industrielle ayant pour objectif la défense des entreprises Allemandes face à la rivalité internationale.

Idem, la Chine a fait le même choix quelques années plus tôt, en mettant en place une politique industrielle ambitieuse afin d’assurer la nouvelle prépotence chinoise sur l’industrie mondiale. Cette stratégie a été appelée MIC25 ou « Made in China 2025 » et les travaux préparatoires ont germiné déjà en 2013, avant qu’elle ne soit adoptée en 2015 avec pour dessein un retour aux fameuses vieilles stratégies d’import-substitution faisant du remplacement des importations par la production nationale le cœur de l’industrie chinoise 4.0. Cette politique industrielle s’est fixée des objectifs quantitatifs ciblés dans les différentes niches que les entreprises industrielles chinoises doivent atteindre. 
En sus, pour parvenir à ses objectifs, le Gouvernement Chinois a déployé tout un éventail sans précédent de moyens financiers qui sont estimés à plus de 2000 Milliards d’euros.Ainsi, comme d’autres exécutifs dans le monde, les Gouvernements Chinois et Allemand, ont lâché pied avec la neutralité et la stratégie industrielle du « benign neglect » pour s’engager dans des stratégies agressives à même de rebâtir leur compétitivité industrielle et commerciale sur l’échiquier mondial. 
Il faut mettre en lumière que malgré la pléthore de ces stratégies industrielles, il est possible de discerner trois grandes caractéristiques communes : 
– La première concerne les nouveaux secteurs industriels ou ce qui est communément appelé « l’industrie 4.0 » pour étançonner les capacités industrielles des Etats, les renforcer et maîtriser les transformations technologiques profondes que connaissent les différents secteurs, 
– La seconde caractéristique concerne l’intervention de l’Etat dans ces nouvelles stratégies industrielles et le rôle de plus en plus omniprésent qu’il prend dans différents chaines industrielles, de l’amont jusqu’à l’aval, notamment le financement, l’appui à la recherche scientifique et le soutien aux exportations, 
– La troisième caractéristique concerne l’appui aux entreprises nationales, particulièrement au regard de la concurrence internationale acharnée, et la mise en place de stratégies de constitution et de soutien aux « champions nationaux ».
Il importe de mettre en lumière, que nous traversons aujourd’hui d’importantes métamorphoses et transformations économiques qui ont amené les grands pays à sortir des politiques néolibérales ayant marqué les politiques publiques du début des années 80, et à mettre en place, des stratégies étatiques actives visant à soutenir leur compétitivité dans les nouveaux secteurs industriels. 

Ces commutations ne doivent-ils pas, en guise de conclusion, nous amener à repenser nos choix de politique économique, sortir de la vision étroite qui prédomine et qui cantonne leur rôle dans la gestion des grands équilibres macroéconomiques, et donner aux politiques industrielles, toute leur revanche et leur piédestal pour assurer un développement inclusif et une séquence vertueuse porteuse de croissance, d’investissement et d’emploi ? 

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