C’était lundi 17 juin 2019 à Casablanca, sous la thématique intitulée «Quel rôle pour la finance participative dans le développement économique», plus de 400 acteurs de la finance islamique, Marocains et étrangers, ont pris part à cette deuxième édition du Forum international Al Yousr de la banque participative du Groupe Banque Populaire. Une opportunité de faire un bilan d’étape de l’activité participative marocaine.
D’emblée, nous pouvons alléguer qu’après deux chandelles de leur lancement, les Banques Islamiques ou participatives ou dit encore Halal n’ont pas encore atteint leur point de mire : Le bilan reste très mitigé, dans la mesure où elles n’ont pas réussi à amasser les montants pronostiqués que les adeptes de la finance Halal prétendaient pour prêcher la nécessité d’aller sur ce sentier de la finance participative. Pour preuve, ces banques n’ont réalisé que 52.000 comptes ouverts à fin octobre 2018, alors qu’elles prophétisaient des sommes ostensiblement supérieurs.
Plusieurs raisons expliquent ce trend timide de la finance islamique :
– Une grande part des clients Marocains ne s’aperçoivent pas de la différence entre les deux systèmes et ne croient pas à la finance made in Halal et trouvent qu’elle ne s’écarte pas de la finance conventionnelle déjà existante en termes des produits financiers exposés. A ce titre, au Kuwait qui est une économie en dualité où cohabitent les banques classiques et les banques islamiques, deux économistes Edris & Almahmeed étaient les pionniers à avoir étudié le comportement des entreprises en général et en Kuwait en particulier : Les résultats de leur étude a fait ressortir que les entreprises, quoiqu’il s’agisse d’un pays musulman, préfèrent les banques commerciales aux banques islamiques. La variable « conformité des produits et des contrats à la Charia » est relégué à la 5ème position tandis que le premier déterminant du choix est la taille de la banque,

– Le coût des produits participatifs sont plus onéreux que les produits conventionnels en raison de la nature même de certains produits tels que la « Mourabaha » où la banque, au lieu de prêter de l’argent moyennant intérêt, acquiert le bien pour le revendre à son client avec une marge bénéficiaire fixée à l’avance. L’acquêt par la banque donne lieu à des frais d’acquisition répercutés dans le prix de vente, et la revente par la banque donne lieu aussi à des frais de transfert de propriété, le tout est supporté in fine par le client Marocain. Le prix se trouve majoré aussi par la multiplication des marges des intermédiaires générée par le double contrat. Au regard de ce coût élevé, le client Marocain n’accepterait guère de payer plus cher pour sa foi,
En sus, les banques participatives calculent leur marge bénéficiaire en tenant compte du risque de défaillance de leurs clients, surtout dans le cas d’un climat juridique qui ne protège pas les créanciers. Ainsi, l’intégration de la prime de risque renchérit davantage le coût mensuel de la traite,
– Le client Marocain est déjà engagé et ligoté par des crédits à moyen et à long terme auprès des banques commerciales classiques à l’instar des crédits logements et des crédits voiture,
– Une partie de la clientèle Marocaine non bancarisée scrupuleuse pour motif de convictions religieuses ; un système de la finance basée sur la Charia qui craint le « Riba » se trouve encouragée et soulagée par les crédits 0% des banques commerciales classiques. Le foisonnement des crédits leasing 0% des voitures en sont la meilleure illustration.

À cet égard et par rapport à la variable religion, un rapport sur la finance islamique élaboré par la Banque mondiale et la Banque islamique de développement BID intitulé «Global Report on Islamic Finance – Islamic Finance : A Catalyst for Shared Prosperity ?», publié au Mois de Févier 2017, révéla que 3,81 Millions de Marocains âgés de plus 15 ans, soit 26,8%, ne disposent pas de compte bancaire pour raisons religieuses.
De ce fait, jusqu’à ce jour, les professionnels de la finance islamique n’ont pas encore innové par rapport aux banques classiques et se cantonnent à capitaliser sur la conformité de leurs offres de services par rapport à l’engagement religieux de leurs clients,
– A l’ère de l’économie cognitive et de la connaissance, l’homo-œconomicus Marocain est devenu très intelligent devant l’intelligence économique, il est devenu éveillé et très intransigeant au regard des produits financiers qui se présente à lui. Devant la digitalisation de l’économie qui a nourri l’intelligence émotionnelle et l’inconscient du Marocain, ce dernier ne succombe pas facilement aux tentatives des produits bancaires ; le client marocain apprécie, confronte et met en balance les droits et obligations pour reprendre la terminologie du droit commercial avant de conférer la sueur et les économies de sa vie dans une banque quelque soit commerciale ou Halal en attribuant une forte pondération aux critères du coût du capital et de couverture.
De ce fait, le client Marocain sait pertinemment que les promesses d’assurance et de coût du capital n’ont pas été tenues et jusqu’à ce jour les banques participatives achoppent sur le produit de l’assurance participative, en l’occurrence Takaful : Les crédits ne sont pas assurés avec ce que cela implique comme risque de crédit, ou alors couverts par des assurances conventionnelles, assimilées à du « non-halal ».
Ainsi, deux bougies après le lancement de la finance islamique, le produit Halal n’a accouché que d’une souris en drainant une mesquine part qui gravite autour de 1,6 MMDH de dépôts, soit une part infime qui n’est que l’équivalent des dépôts d’une minuscule succursale d’une banque commerciale marocaine et de facto on est très loin de la barre des 10% et 15% de parts de marché sur lequel tablait les protagonistes de la finance islamique.

Difficile avec une telle part de la finance participative être un levier d’accélération et transmission économique en termes de relance de la consommation, de l’investissement et du développement de secteurs importants tels que l’immobilier et la protection sociale.
La finance participative, somme toute, ne trouvera pas écho auprès d’un marché qui n’est pas librement concurrentiel, la finance Halal ne trouvera pas adhésion auprès d’une clientèle marocaine exigeante en se sclérosant pour l’essentiel à concilier convictions de religion et consommation de produits financiers onéreux. Nous pensons qu’aucun client Marocain ne serait prêt à payer plus cher pour respecter son culte et sa spiritualité. Voltaire n’a-t-il pas dit » Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion » ?