Le Lundi 19 Juin 2023 était le jour J qui tenait en haleine tous les bacheliers du Maroc ; il était un jour J exceptionnel pour tous les bacheliers du Royaume. Résultat : Ils étaient 245.109 candidats et candidates à avoir décroché le précieux titre du Baccalauréat pour cette année 2023, soit 59,74%. Ultime sésame pour les lycéens, l’obtention du Baccalauréat enclore le cycle éducatif secondaire ouvrant ainsi les portes des études supérieures, dernière étape – et non la plus facile- avant l’emploi et la vie professionnelle active.
L’affichage des résultats du Baccalauréat de ce jour J donna lieu à des scènes qui témoignent de l’importance que continue à constituer cette « schibboleth » pour les lycéens et leurs familles. Entre pleurs et détresse des recalés et bonheur des nouveaux bacheliers, le Baccalauréat est un phénomène sociétal qui continue à impacter viscéralement, les vies et les parcours.
Rétrospectivement, entre 2007-2008, le taux de réussite était de 44%, ce taux de réussite a gravi, en une seule année, de près de 8,19 points entre 2019 et 2018. Faut-il rappeler qu’en une seule décennie, il a sauté de 28 points et de 17 points en 2 ans, après une évolution en dents de scie entre 2007 et 2015. 109.187 candidats ont obtenu leur Baccalauréat avec mention, soit 51,46% de l’ensemble des bacheliers, 57,3% sont des filles ont obtenu une mention. La meilleure moyenne a été obtenue au niveau de l’Académie régionale de Casablanca-Settat dans la branche Sciences physiques– Section française (19,52 sur 20) selon les chiffres officiels du département de Chakib Benmoussa. En cette année, le nombre global des candidats qui ont obtenu le Baccalauréat a augmenté de 14.000, soit 6% par rapport à la même session de 2022, et le nombre des candidats qui ont passé l’examen a augmenté de 18% comparativement avec la session de 2022. Le nombre des candidats ayant obtenu une mention, parmi les scolarisés et les libres, a atteint 127.338, soit un taux de 48%. Ce taux était de 51%, soit 137.486 candidats.
Même en France, la hausse spectaculaire du taux de réussite est accompagnée par une recrudescence du taux de mentions délivrées aux résultats du Baccalauréat. La croissance du taux de réussite au Baccalauréat s’accompagne d’une forte augmentation du nombre de mentions. En 1967, seulement 32% des bacheliers obtenaient une mention. En 2022, ce sont 58,8 % des candidats (toutes filières confondues) ont décroché une mention, soit presque un candidat sur deux.
Au Maroc, il y a plus dix ans, le taux de réussite au baccalauréat ne dépassait guère les 35%. En 2022, ce taux a été de 66,28% contre 68% pour la même session de l’année 2021 L’apostrophe qui nous interpelle : Que s’est-il passé en moins de deux décennies pour qu’on ait atteint un tel niveau de réussite dans un laps de temps très court, et que les mentions BIEN et très BIEN soient distribuées à discrétion ? Serait-ce imputable à un coup de balai du diplôme ou à des candidats bien plus doués, plus clairvoyants, plus perspicaces que notre génération et la génération qui nous a précédés? Serait-ce assignable à un système de notation courtisanesque ? Serait-ce attribuable à un système éducatif miséricordieux par lequel certaines écoles privées gratifieraient leurs élèves de notes non méritées ?
Ou serait-il le signe d’un investissement accru des élèves mieux préparés, et plus motivés, entraînant de fait ce crescendo de niveau des mentions ? La réforme du Baccalauréat à travers la valorisation du contrôle continu et le développement des cours particuliers a pu-t-elle aider bon nombre d’élèves en le permettant d’obtenir plus aisément une mention ?
L’enjeu d’obtention de bonnes notes au baccalauréat a eu une conséquence que nous considérons négative, à savoir la focalisation excessive des familles sur la préparation en quantité et non en qualité de l’examen et de ce fait nous nous sommes malheureusement retrouvés avec des étudiants qui sont plus préparés pour affronter l’examen, que préparés à affronter la vie.
De ce fait, ce qui devrait, de prime abord, s’apercevoir et se dévoiler comme une nouvelle exhilarante nous interpelle à poser plusieurs interrogations. Avec un indice de développement de 0,683, le Maroc occupe la 123éme place parmi les 191 pays pour lesquels l’IDH a été calculé en 2022. Parmi les principaux facteurs expliquant cette performance médiocre figurent les déficits significatifs en matière d’éducation. D’ailleurs, le système éducatif Marocain est pointé par tous les rapports mondiaux issus d’organisations internationales en le taxant de toutes les épithètes péjoratives ne saurait expliquer ce jubilé inopiné, encore moins cette frénésie des mentions dont s’adjugent 48% des lauréats Marocains.
Des moyennes de 17, 18 et 19 au Baccalauréat sont servies à profusion et à volonté. Naguère, le taux de réussite durant les années 70 n’excédait pas les 15% puisque le système à l’époque était beaucoup plus rigide et sélectif. Il n’y avait pas durant cette phase de possibilités de rattrapage et il n’existait alors qu’une seule session d’examen.
En outre, il y a plus de 40 ans, décrocher son Baccalauréat avec mention Assez bien, Bien ou « très bien » était une grande distinction personnelle et une démonstration du sérieux et de la recherche de réussite. A ce titre, le cercle des poètes disparus des années 70 ou des années 80 auraient eu autant de valeur d’excellence avec l’augmentation du nombre d’élèves obtenant des mentions,
Devant cette profusion des mentions, une note de 13 ou de 14, qui était dans notre génération une prouesse et un exploit ne garantit plus une inscription aux grands instituts cotés du Royaume qui, en sus, des moyennes élevées comme premier ticket d’entrée, ne sont accueillants que sur concours.
En France, la valeur d’une mention est devenue subjective : Alors que la grande majorité des formations du supérieur ont intégré le calendrier de Parcoursup, elles sélectionnent leurs étudiants sans connaître leur mention au bac. C’est notamment le cas des classes préparatoires. « La question des mentions ne se pose pas, puisque les élèves reçoivent leurs propositions d’admission avant le résultat du baccalauréat ».
Du côté de Sciences po Paris, la mention « très bien » au bac permettait auparavant d’accéder au cycle Bachelor sans passer par les concours, mais cela a été supprimé en 2014. Intégrée au calendrier de Parcoursup, l’admission des étudiants se fait désormais avant les résultats du Bac.
Même si la mention reste un « gage de qualité », elle est donc devenue « inutile pour beaucoup de formations ». Ce ne sont plus que les notes qui comptent aujourd’hui, et la mention perd sans doute de son utilité. Elle devient de plus en plus une satisfaction personnelle par rapport au travail fourni pendant toutes ces années ».
Au Maroc, paradoxalement, si jadis, le bac du cercle des poètes disparus, de par sa rigueur, constituait un réel clé d’entrée pour diverses disciplines, son obtention est aujourd’hui imposée y compris pour certaines filières de la formation professionnelle fondées à l’origine dans les années 70 pour ceux qui n’avaient pas atteint le niveau Bac ou qui n’avaient pas réussi à le décrocher.
Le mystère sur ces records historiques de réussite et ces moyennes générales tellement élevées et en grand nombre qu’elles en deviennent peu plausibles. Seule des enquêtes rigoureuses permettraient d’ouvrir la boite de pandore, l’énigme et le talisman du foisonnement des mentions.