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Taux directeur et le mirage de la maîtrise de l’inflation

by Mustapha Maghriti

Longtemps battu en brèche par les économistes pour ses sacerdoces classiques de ne plus se cantonner au ciblage de l’inflation, la Banque Centrale est aujourd’hui sollicitée plus que jamais à l’épineuse question de juguler l’inflation dans la mesure où cette dernière est devenue le premier ennemi qui obnubile les Banques Centrales contradictoirement à ce qu’il prévalait il y a quelques années, les années de la Stagflation qui prévalaient au cours des années 1970, à la suite du premier choc pétrolier de 1973).

Cependant au regard de la récurrence des crises économiques et financières et de l’envolée de l’inflation, BANK AL-MAGHRIB évolue vers des missions duales de conciliation entre la stabilité des prix et celle de la  stimulation de la croissance économique.  

Lors du dernier conseil de BANK AL-MAGHRIB, qui suit de près la conjoncture économique et les pressions inflationnistes, tant au niveau national qu’international, tenu le 20 Décembre 2022, le Patron de l’Institut d’Emission 
Abdellatif Jouahri a décidé de relever le taux directeur de 50 points de base, soit  à 2,50%  une seconde fois après la hausse du Mois de Septembre à un moment où les banques centrales du monde notamment la FED Américaine et la BCE de l’Union européenne ont serré la vis face à une inflation ascendante, en révisant à la hausse de manière conséquente leurs taux directeurs et ce dans l’ambition d’exorciser le spectre de l’inflation qui pèse d’un poids lourd sur les entreprises et les ménages, puisque l’inflation exprimée par l’Indice du Prix à la Consommation (IPC) a gravi à 8,3% le Mois de Novembre selon le département de Lahlimi Haut Commissariat au Plan  (HCP), un élan jugé alarmiste par le milieu des affaires et les analystes de la conjoncture économique.

Et tenant compte des données les plus récentes du Haut Commissariat au Plan, l’inflation devrait rechuter à 6,6% en 2022, après 1,4% en 2021, tirée considérablement  par la dynamique de la hausse des prix des produits alimentaires, des carburants et lubrifiants. Par la suite, elle se stabiliserait à 3,9% en moyenne en 2023 avant d’accuser un nouveau rebond en 2024 à 4,2%, en lien avec la décompensation programmée des prix des produits subventionnés.

Notre propos dans cette chronique  est que non seulement BANK AL-MAGHRIB, mais moult Banques centrales tombent dans la « chausse-trape » de répliquer aux pressions inflationnistes en avisant d’adopter des politiques monétaires rigoureuses, notamment à travers l’augmentation de leurs taux directeurs, dans le dessein de rendre plus rebutantes les coûts de financement des ménages et du secteur privé et faire baisser ainsi la demande agrégée, pour par la suite juguler l’inflation. 

Cette transmission nous semble très schématique et réductrice de la réalité économique : Ce schéma pourrait assurément fonctionner si l’inflation était toujours et intrinsèquement un phénomène monétaire. Toutefois, la réalité économique est toute autre, elle n’est pas aussi simple que ça et une réflexion sur les sources de l’inflation montre qu’elle est transmissible par les coûts sur les marchés internationaux.

En effet, Il n’est pas douteux, qu’il s’est développée ces dernières années une propagation générale de l’inflation où les experts internationaux remarquaient qu’il y a eu au cours des dernières années, un synchronisme nettement plus étroit entre les mouvements de prix dans les différents pays qu’entre les changements dans l’intensité de la demande.

Outre, des causes internes, plus ou moins particulières expliquant l’inflation, il serait apparue des causes externes communes à l’origine, ou favorisant la poursuite de ce mouvement général ; les poussées inflationnistes se sont propagées de pays à pays, et elles se sont jusqu’à un certain point, renforcées mutuellement .

En première analyse, il est facile d’attribuer ce phénomène au développement croissant des échanges internationaux, qu’ils s’agissent de mouvements de biens et services.

Cette question étant à la fois complexe et controversée, relevons simplement quelques éléments qui paraissent essentiels : Ces effets prix sautent aux yeux quand ils prennent la forme d’une hausse des prix à l’importation.

Dans ce cas des importations, s’il s’agit de produits non concurrentiels, une hausse se répercute sur les prix de revient des industriels pour les matières premières et produits intermédiaires, sur les prix de détail dans le cas de produits finis. S’il s’agit de produits concurrentiels, il se produit des influences réciproques entre importations et concurrents intérieurs.

A titre illustratif, les fortes pressions inflationnistes au Maroc durant le premier semestre 2022 sont d’origine externe que par des facteurs intrinsèques notamment suite à l’augmentation des prix des produits énergétiques et alimentaires, mais aussi à la hausse de l’inflation chez les principaux partenaires économiques. Ceci dit que c’est une inflation importée et Bank Al-Maghrib l’a bien souligné dans les deux derniers rapports de politique monétaire. 

De ce fait, BAM s’aligne sur la trajectoire des grandes Banques Centrales à l’international pour lutter contre une inflation usuellement importée au Maroc où plus de 50% des importations du Maroc se font en Dollar et concernent principalement les produits énergétiques et céréaliers. Cette situation a propulsé l’hiatus entre le cours de référence du Dirham et son Mid panier à plus de +3,60%, soit un plus haut depuis la mise en place de la réforme de change en 2018 où ce dernier se rapproche ainsi du seuil haut de la bande de fluctuation du dirham fixé à 5%. Dans ces conditions, la parité Dollar/Dirham atteint son apogée de plus de 10 ans, à 10,81, en hausse de +17% depuis le début de l’année.

Au niveau du circuit économique, les prix échangeables représentent plus de 90% de la structure des prix au Maroc. C’est pour dire que toute oscillation à la hausse ou à la baisse des prix des inputs affecte le niveau de l’inflation. L’arme dont dispose Bank Al-Maghrib pour juguler l’inflation n’est autre que la politique monétaire à travers la hausse ou la baisse des taux directeurs pour prévenir tout désencrage des anticipations d’inflation et assurer les conditions d’un retour rapide à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix.

Bien que les prévisions de la Banque Centrale tablent sur un taux d’inflation de 2,4% en 2023, nous pensons que le revirement du cycle inflationniste dépend encore des effets de la guerre en Ukraine qui persiste encore parce que si le conflit russo-ukrainien prend une autre tournure , les hypothèses retenues par la Banque Centrale seraient perturbées et l’inflation repartirait à la hausse.

D’ailleurs, Fitch Solutions avait anticipé une nouvelle hausse, cette fois plus forte, du taux directeur de 100 points de base, pour le porter à 3% cette fin d’année en raison notamment d’une Banque centrale européenne (BCE) plus belliciste (étant donné que l’euro a la pondération le plus élevé dans le système monétaire géré du Maroc) et de pressions inflationnistes soutenues, et des performances économiques plus fortes que prévu, ainsi que la baisse des réserves de change qui pèsent davantage sur le Dirham.

Bank Al-Maghrib justifie la dernière hausse du taux directeur à 2,50% par ses prévisions du retour de l’inflation à des niveaux modérés en 2023 et non pas par ses sources qui ne sont pas monétaires. Cependant, avec les incertitudes que connait le monde actuellement, le scénario de la perpétuité de la hausse générale des prix est fort probable. Un tel synopsis pousserait les autorités monétaires, à nouveau, à relever leur taux directeur, dans le souhait de faire face à l’inflation, qui n’est pas monétaire, chose qui ne va que préjudicier davantage l’économie Marocaine. 

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