
Quelle mondialisation à l’ère de la crise Russo-ukrainien ? C’est l’intitulé de notre présente chronique. Pourquoi une telle chronique ?
– Primo, parce que les corollaires pervers de la globalisation impactent au jour le jour nos vies, nos économies et que tout cheminement des forces économiques qui l’illuminent a des contrecoups structurels monstrueusement pondéreuses sur notre souveraineté économique, notre carte industrielle, l’emploi et sur notre pouvoir d’achat.
– Secundo, parce que la thématique de la mondialisation est au centre de l’actualité et de nos inquiétudes en raison de l’impact de l’invasion de la Russie en Ukraine sur l’économie internationale : Cette guerre a embrasé en effet l’inflation, accéléra la récession mondiale, somme notre sécurité alimentaire partout dans le monde, voire la transition énergétique quand la dépendance au gaz Russe accule l’Europe à rouvrir des centrales à charbon pour compenser les tensions qui pèsent sur son système énergétique.
– Tertio, nous avons choisi cette chronique parce après plus de quatre décades d’accélération de la mondialisation au cours de laquelle la circulation des biens, des services, des capitaux et de la force du travail s’est faite quasiment sans limite en raison d’une dérégulation non contrôlée et d’une révolution numérique plus poussées. Cette guerre Russo-ukrainien bat en brèche et ouvre un nouveau chapitre de la mondialisation que les représailles commerciales entre la Chine et les Etats-Unis à partir de 2019 et surtout la crise de la pandémie du Covid19 qui a secoué la planète dans son ensemble. On s’en souvient, la menace sanitaire s’est propagée à une célérité sans précédent, tandis que les mesures de confinement prises pour le brider, ont paralysé la plupart des appareils productifs, plongeant l’économie mondiale dans une crise économique d’une pesanteur exceptionnelle et jetant les pleins phares sur ses vulnérabilités.
Les perturbations des chaînes de valeurs mondiales d’approvisionnement et les pénuries de masques et de matériel médical observées pendant la crise sanitaire ont, en effet, mis en évidence l’épée de Damoclès qui pèse la souveraineté de nombreux pays à travers une dépendance compacte des économies les unes aux autres.
Cette fragilité de la mondialisation est aujourd’hui décuplée par l’heurt de la guerre en Ukraine sur la cartographie de la géoéconomie mondiale. Et pour cause, tous les équipementiers repensent en refondant leur chaîne de production et d’approvisionnement, et ce en relocalisant, en doublant, voire en multipliant le nombre de pourvoyeurs et/ou en se localisant dans des pays limitrophes ou stables politiquement. Une fêlure et une faille onéreuse qui a des conséquences sur les prix de vente et le pouvoir d’achat des ménages. A titre illustratif, les prix du gasoil et d’essence ont connu une envolée fulgurante jamais connue auparavant en frôlant les 19dhs le litre ou l’huile de tables a presque doublé.
Cette tendance se découpe ainsi avec celui observé au cours des quatre dernières décades qui, pertinemment, se caractérisait par l’exultation des chaînes de valeurs et de production aux quatre coins de la planète pour se rapprocher de nouveaux débouchés alléchants en profitant des opportunités d’investissement et d’une main d’œuvre bon marché.

En d’autres termes, la crise actuelle a brisé les liens économiques et les réseaux de production à l’échelle mondiale, les chaînes de valeur régionales se substitueraient aux chaînes de valeur mondiales. La proximité prendra sa revanche sur le lointain.
A titre illustratif, les relocalisations des activités industrielles pour les intégrer dans une logique régionale permettront de redonner à la Méditerranée sa centralité en tant que site Européen et Africain.
La crise Russo-ukrainien est une aubaine pour l’Afrique en général et le Maroc en singulier, qui devront s’imprégner des réflexions dans le débat autour du devenir de la mondialisation. L’Afrique tout comme le Maroc doit renégocier leurs rapports avec la proximité, et exiger de l’Europe qu’elle s’ouvre sur de nouvelles logiques de partenariat avec l’aire sud-méditerranéenne et africaine sur la base de la coproduction.
Cela va, d’ailleurs, dans le sens des intérêts de l’Union européenne elle-même que de traiter la question de la relocalisation et de captage des chaînes de valeur mondiales dans un cadre régional qui dépasse celui de la seule Europe où le traitement du dossier de relocalisation industrielle par les Européens doit être en rapport avec celui du couple développement-immigration dans la grande région afro-sud-méditerranéenne.
Cette dynamique de repli semble animer un morcellement et un fractionnement de la mondialisation, organisée non plus comme un village-planétaire pour paraphraser Marshall McLuhan, mais sous forme de blocs de pays disjoints, chacun charpenté sur des motifs géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux.
Une sorte de mondialisation entre amis, comme l’expliquent la secrétaire d’Etat Américaine au Trésor, Janet Yellen et Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne (BCE) en vulgarisant les concepts de » friend-shoring », » friend sharing », » friend shopping ».
Ce synopsis est loin de prendre acte et qui n’est pas partagé par tous. Tout comme ne l’est pas, d’ailleurs, l’évolution de la situation actuelle, préfiguration, selon économistes et géo-politologues, à une « démondialisation », qui annoncerait une rétrogression de la dynamique des échanges mondiaux, quand d’autres économistes anticipent plutôt, une « néomondialisation » ou une « remondialisation », un concept qui conférait à la mondialisation d’évoluer sur des paradigme différents, tandis que d’autres et c’est l’avis que nous partageons, estiment que les forces économiques et les locomotives de la mondialisation sont toujours présentes et que la mondialisation continuera, mais de manière ralentie » slowbalization » .

On devrait être très prudents pour dire que la mondialisation va spontanément décliner : Nous n’avons pas tous pensé que le capitalisme a sonné le glas lors de la crise économique et financière de 2008 qui a ébranlé la mondialisation et sa dynamique.
Les pays restent malgré tout très interdépendants et savent que les coûts d’une démondialisation brutale seraient très onéreux.
In fine, nous semble-t-il tout sera tributaire de l’issue de la guerre, de la place qu’occupera demain la Russie sur l’échiquier mondial.